lundi 19 mai 2008

"Va com Deus, Irmão !" (suivi de "Bonus vidéo")



-"Va com Deus, Irmão !"


Le premier gars à m'embarquer... Ouch!
-Marche avec Dieu mon pote.


C'est souvent comme ça qu'on me saluait, lorsque je quittais quelqu'un avec qui j'avais passé quelques heures ou quelques jours, à partager la soupe du quotidien, sur la route ("hey cowboy style, quand tu nous tiens").
A force, c'est le genre de petite phrases qui te rendent mystique, pas au sens de la foi en Dieu -je cultive pas ces trucs et j'ai toute ma vieillesse pour ça. Non, au sens de la foi en nous autres, les Hommes, les frères et les sœurs, damnés ou conquérants, tous pareils, splendides loosers bien paumé qu'on est.


Le mec le plus paumé que j'connaisse... Pas méchant, hein, paumé.


Après presque cinq jours de balade, donc, pour relier Brasilia à la côte du Nordeste (c'est beaucoup, c'est ma faute); mon camionneur Saulo, qui m'a pris en stop dans l'état du Piaui (après mon fameux détour de 2000Km) et avec lequel j'ai parcourus pas loin de 1500 bornes, m'apprend peu de temps avant d'arriver là où je pensais arriver (cad : Recife), qu'en fait sa route s'arrête (de poisson) à Campina Grande... C'est la Capitale du Paraiba et c'est surtout 200 km avant Recife, capitale du Pernambouc, Brésil. Et bien sûr, le carnaval que je n'veux louper sous aucuns prétexte, commence... demain.M***E !

Campina Grande est pas belle, perdue dans le désert. Remarque, au milieu d'une mer infinie de terre rouge comme ça avec son architecture des 50's, on se croirait dans l'une des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury, elle a au moins ça pour elle.

J'enrage.

Cinq jours de galère et voilà un nouveau pépin. Après un jour et demi de bahut, on arrive dans cette nouvelle citée dont je n'ai jamais entendus parler. En plus le soleil se couche, donc pas le choix : je passe une dernière nuit avec Saulo, Luciano et la Petite. Demain, je dois me lever aux aurores et trouver une bagnole pour aller jusqu'à Recife et sa fête. Mes compagnons me rassure et me certifie qu'il y'aura tout plein de gens pour m'embarquer. Beaucoup de gars de Campina iront passé le carnaval là bas... N'empêche, je vais encore devoir dormir sous un camions dans un hamac. Et ce que je ne sais pas encore, puisque personne ne me prévient (les brésiliens sont les rois des mauvaises surprises, sans conséquences, mais parfois bien lourdes), c'est que cette nuit, la semi-remorque sous laquelle je roupille sera en chargement. En gros y'aura un petit fond sonore pour te bercer, pitit polo... Héhéhé, hin hin hin, arfh, la nervosité en fait...
Je suis exténué et je n'aurais pas droit, pour cette fois encore, à une vraie nuit de repos, dans un vrai lit, plus de quatre heures. Je suis pas marin moi ! Tant pis, je me suis interdit de me plaindre... Mais pas de m'engueuler intérieurement, c'est ça qu'est bien quand tu voyage seul. Quand il y'a un problème personne n'en paye les pots cassés, excepté toi même. Je me connais, j'aurais eu quelqu'un sous la main dans ces moments (nombreux), j'aurais fais des blagues cyniques jusqu'à saturation totale (ce à quoi d'ailleurs je m'auto-soumettait, où comment ne pas savoir gérer ses problèmes par "l'abstraction-du-monde-réel-à-travers-la-méditation-intérieure
-béatifiante-de-la-contempation-des-infinités-de-son-océan-intérieur" ou "cosmo-bulle")...

Une nuit de plus à partager le pain avec mes acolytes de vadrouilles. Eh bien, comme rien n'est inutile, je vais enfin lever le voile sur le mystère de la petite Causette, qu'on à embarqué dans notre voyage. En fait elle n'est pas là pour ce que je croyais au tout début, du moins pas que pour ça. Elle fait aussi la cuisine, nettoie le camion, cajole mon ami le soldadito du bon dieu, Saulo et fait toutes sortes de petites tâches, en y rechignant plus ou moins. En fait, surtout, elle saisie là une occasion de se sortir de son trou sinistre du désert nordestino. Pour trois jours ou pour toujours. Comme dans les films américains, où la petite blonde de l'Alabama quitte son bled pour faire flamber les planches de Broadway, via les zincs cradingues de Détroit.
Elle n'a pas l'air d'en être à son coup d'essai puisque tout les petits trucs qu'elle fait, elle les entreprend d'elle même. Ce dernier soir que nous passerons ensemble, tout les quatre, c'est donc elle qui fais la potée. Pas plus mal d'ailleurs, parce que les pâtes froides aux oeufs et à la graisse de je sais pas quoi, que nous préparaient les gars jusque là, j'en avais un peu marre. Au menu, des haricots et du lard, ça change, je suis content !


-Du beurre ? Oh les mecs fallait pas, c'est trop !


La discussion, qui tourne généralement autour des itinéraires prochains que vont suivre tonton et fiston, vire finalement autour de notre cuisinière... Et ça au gré d'une question que me pose Luciano :

-"Ho, Gaucho (depuis que je suis dans le nord c'est mon surnom, parce que les Gauchos sont blancs aux yeux clairs là bas), quel âge tu lui donne à elle ?" Qu'il me pose comme sèche le vieux.

Alors moi, gentil et surtout parce que la réponse me fait peur, je la regarde, je fais mine de bien réfléchir; Causette à l'air super gênée, elle met sa tête dans ses mains, comme un enfant qui voudrait se cacher...

-"Heu 20 ans, 18 ?" Je réponds, dans l'espoir de dire la vérité.

Eclat de rire de Saulo et Luciano...

-"Mais non, regarde la ! Elle en a pas plus de 15 ! 14 maximum !" Qu'ils me balancent en coeur.

Voilà, on se traîne une gamine, qui travail pour nous, à des centaines, peut être mille kilomètre, je sais plus, de sa maison. Je suis pas choqué, disons que je m'attendais bien à des trucs comme ça. Le problème c'est l'apparente banalité de la situation pour ceux qui m'accompagne et puis surtout la honte bien visible de la fille, elle a pas l'habitude qu'on lui accorde de l'attention et encore moins quand ça vient d'un étranger. Et puis, elle voit bien que je ne trouve pas ça normal, parce qu'elle sait et ils savent tous au fond, qu'on devrait avoir d'autres choses à faire quand on a 14 ans, que de se donner corps et âmes à un camionneur de passage. Mais la vie et la liberté que je déclame partout n'ont pas la bonté d'âme qu'on leur prête souvent. Elles appliquent assez régulièrement, malheureusement, le principe de réalité, plus proche d'un Malthus que d'un Luther King. Cette situation n'a rien d'étonnante, elle d'une triste banalité, mais ce n'est pas pour autant que je l'accepte.


"Causette" et Lui


En tout cas sur le coup, la seule chose que j'trouve à faire, c'est donner autant de petits coup de mains que je peux à Causette et puis lui sourire, lui montrer qu'elle à pas à être gênée de quoi que ce soit. Ça a marché , puisqu'après une nuit des plus pénibles et de trop rapides adieux à mes collègues de route, elle fût la plus insistante pour m'adresser le fameux : -"Ho Gaucho ! Va com Deus, Gaucho !"
Et moi je m'en vais trouver une nouvelle tire, destination Recife.


La route vue du camion




Bonus : Je vous ai jamais parlé de mon premier de l'an à Rio ? Quelques images valent un grand discours, pour sûr !




A la prochaine, mon (ma) pote (pate)!

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